La Formation de Paja, un écosystème rempli de monstres
La Formation de Paja commence à livrer ses mystères : un écosystème complexe, une chaîne alimentaire avec de très nombreux niveaux.
Il y a environ 130 millions d’années, dans une région qui est aujourd’hui le centre de la Colombie, l’océan était rempli d’un grand nombre d’espèces inconnues. De super-prédateurs qui peuplent volontiers nos cauchemars. Des reptiles marins qui pouvaient atteindre les 10 mètres de long, bardés de dents, etc. Ces géants partageaient l’océan avec d’innombrables plus petites espèces, parmi lesquelles des ichthyosaures, des tortues, des poissons, des ammonites, des crabes, des mollusques, des requins et au moins une espèce de crocodyliformes.
La Formation de Paja commence à livrer ses mystères
Pour que toutes ces espèces puissent vivre ensemble, il aura fallu un écosystème florissant, et ce, à tous les niveaux. Grâce aux découvertes réalisées dans ce que l’on appelle aujourd’hui la Formation de Paja, avec de superbes fossiles parfaitement conservés, les chercheurs commencent à comprendre comment pareille chose fut possible. Et notamment comment cela fut possible si rapidement après qu’une extinction de masse conduisait le Jurassique à sa fin.
Dirley Cortés, travaille au Redpath Museum de l’Université McGill, au Smithsonian Tropical Research Institute et au Centro de Investigaciones Paleontológicas (CIP). Elle a récemment dévoilé les données sur laquelle son équipe et elle travaillent autour de la Formation de Paja. L’objectif de l’équipe est de parvenir à expliciter le rôle de chaque espèce dans ces anciens océans. Autrement dit, des super-prédateurs jusqu’aux plus petites créatures. Et le résultat est impressionnant, surtout quand on connait le manque de données. Toutes les espèces ne se fossilisent pas, par exemple, et de nombreux fossiles ne conservent pas le contenu de leurs intestins. Comment alors savoir qui mange quoi ?
Face à ce manque d’information, l’équipe a aussi comparé la taille des espèces, de leurs dents et de nombreux autres attributs pour reconstruire la chaîne alimentaire dans la Formation de Paja au début du Crétacé. « C’est une analyse quantitative, un point de départ pour développer de nouveaux modèles. […] Cette carte a été reconstruite sur la base des interactions supposées entre les producteurs, consommateurs et super-prédateurs marins. » Et l’une de leurs conclusions est qu’il y avait bien plus de niveaux, autrement dit des chaînes alimentaires bien plus longues, dans ces anciens océans que ce que l’on a aujourd’hui. Cela est synonyme d’une « plus grande complexité dans l’écosystème. Avec plus de niveaux, on pourrait se dire qu’il y a davantage de place pour des liens entre les espèces qui occupent chaque niveau. Une question intéressante est de savoir si les niveaux les plus élevés impliquent une plus grande stabilité de l’écosystème. Ce que l’on sait déjà, c’est que la base des systèmes marins est restée relativement stable pendant des centaines de millions d’années. Étudier la Formation de Paja en Colombie pourrait ouvrir cette discussion. »
Un écosystème complexe, une chaîne alimentaire avec de très nombreux niveaux
Cette complexité provient, en partie, de la diversité des prédateurs dans cet océan. Le pliosaure – qui pouvait atteindre 10 mètres – constituait un niveau, mais d’autres pliosaures et des ichthyosaures un peu plus petits comptaient pour un autre niveau. Et les tortues marines et élasmosaures encore un autre. Il pourrait être tentant de croire qu’avec leur taille, les pliosaures mangeaient tout, mais leur régime alimentaire reste encore très peu connu. Si leurs mâchoires avaient effectivement la force de nos crocodiles actuels, les contenus stomacaux révèlent un régime de céphalopodes, accompagné de requins, poissons, tortues, ichthyosaures et autres reptiles marins.
Les élasmosaures et leur long cou ont été source de nombreuses hypothèses quant à leur contribution à la prédation. Utilisaient-ils leur cou comme les serpents d’aujourd’hui ? Ou pour ramasser les nutriments dans les fonds marins ? Ou s’en servaient-ils pour nager ? Autant de questions encore sans réponse, mais leurs dents suggèrent un régime de poissons.
« Nous commençons tout juste à comprendre que le réseau écologique de Paja était très complexe et diversifié » avec, en haut de la chaîne, les super-prédateurs qui se nourrissaient de grandes et moins grandes proies, notamment des ammonites. Sur ce point, nous n’avons aujourd’hui que peu d’espèces de comparaison, mais l’on a retrouvé des fossiles aux quatre coins du globe, de toutes les tailles. Plus de 100 espèces d’ammonites ont été retrouvées dans la Formation de Paja. À tel point que l’une d’entre elles est un symbole régional.
Tout ceci fournit « des informations très utiles pour étudier la dynamique des systèmes marins du Mésozoïque et comment ces systèmes ont répondu aux facteurs biotiques et abiotiques pendant la période de transition du Crétacé inférieur. Les découvertes de l’équipe de Dirley Cortés ne sont qu’un début. Un nouveau papier devrait être publié dans quelques mois et les scientifiques travaillent désormais à déterminer « les acteurs manquants ainsi qu’à générer des modèles plus précis. » « Ces recherches sont excitantes, elles nous permettront d’amener de nouvelles idées dans l’évolution de l’écosystème marin du Mésozoïque et des réseaux écologiques. »