Alors que le gouvernement envisage d’interdire la vente des sachets de nicotine, ces produits sans tabac et sans fumée, présentés comme une alternative moins nocive à la cigarette par les cigarettiers, suscitent un débat de fond.
Aux États-Unis, les sachets, autorisés par l’autorité de contrôle américaine FDA, sont un succès. Faut-il interdire, encadrer, ou encourager leur usage chez les fumeurs adultes ? Enquête depuis Washington, Nashville et le Kentucky.
Un produit discret mais en pleine expansion
Un petit sachet blanc, de la taille d’un ongle, glissé entre la gencive supérieure et la lèvre. Ni fumée, ni combustion, ni tabac. C’est ainsi que se présente le sachet de nicotine, souvent confondu avec le snus suédois, dont il se distingue par l’absence totale de tabac. En quelques années, ce produit a conquis une part croissante des fumeurs désireux de se détourner de la cigarette, notamment en Suède et aux États-Unis.
Le principe est simple : une fibre végétale (souvent de la cellulose) imbibée de nicotine extraite de la feuille de tabac, parfois accompagnée d’édulcorants, d’arômes mentholés ou fruités, et de régulateurs d’acidité. Une gamme de dosages existe, ne dépassant pas 6 mg de nicotine par sachet. Le tout, sans goudron, sans combustion, sans fumée passive.
Mais si ces sachets s’installent progressivement sur les marchés nordiques et anglo-saxons, la France pourrait leur fermer la porte avant même qu’ils ne s’imposent. Alerté par Loïc Josseran, le Président de l’Alliance Contre le Tabac, qui estime que ces produits « entraînent une addiction à la nicotine », le ministre délégué à la Santé Yannick Neuder a envoyé sa proposition de décret d’interdiction à la Commission européenne. Une décision devrait être rendue à la fin de l’été.
Une décision qui inquiète les industriels du secteur, qui demandent une rencontre avec le Ministre. Celui-ci conserve sa ligne, qui tranche avec les choix opérés dans d’autres pays européens, à commencer par la Suède.
La Suède, pionnière de la nicotine sans fumée ; les USA, nouveaux convertis
Depuis plusieurs décennies, le royaume scandinave mise sur les produits de substitution plutôt que sur l’interdiction. Résultat : en 2025, moins de 5 % des Suédois fument, contre près de 25 % en France. Ce succès est largement attribué à l’usage massif de snus et de sachets de nicotine, largement disponibles mais strictement réservés aux adultes. Selon les autorités sanitaires suédoises, cette transition s’est traduite par une baisse significative des cancers du poumon et des maladies cardiovasculaires, notamment chez les hommes.
L’Amérique n’a pas choisi l’interdiction. Elle a opté pour la régulation. Depuis 2020, la Food and Drug Administration (FDA) soumet chaque produit nicotinique à un processus d’autorisation préalable : le PMTA, ou Premarket Tobacco Product Application. C’est dans ce cadre que ZYN, marque lancée en 2014 par Swedish Match — depuis acquise par Philip Morris International — est devenu en janvier 2025 le seul sachet de nicotine autorisé par la FDA aux États-Unis. Deux dosages ont été validés (3 mg et 6 mg), avec une dizaine d’arômes, tous testés en laboratoire et distribués sous strict contrôle.
Philip Morris : vers un monde sans fumée ?
Loin de se contenter de cette autorisation, le leader du marché mise gros sur ce nouveau marché — avec un mot d’ordre affiché : tourner la page de la cigarette.
Longtemps champion des cigarettes Marlboro, le groupe Philip Morris International revendique désormais un virage stratégique vers des produits dits « sans combustion ». IQOS, VEEV, ZYN : autant de piliers d’une transformation vers un avenir « smoke-free ». En 2030, l’entreprise ambitionne de réaliser plus des deux tiers de son chiffre d’affaires dans des produits alternatifs à la cigarette.
À Owensboro, dans le Kentucky, plus de 1500 salariés produisent jusqu’à 3 millions de sachets ZYN par jour. Une deuxième usine, en construction dans le Colorado, doit ouvrir en 2026. « Il ne s’agit pas de convertir des non-fumeurs, mais d’offrir une alternative à ceux qui n’arrivent pas à décrocher », insiste un responsable local rencontré sur place.
Un outil pour certains fumeurs, pas une solution miracle
Les industriels insistent : les sachets de nicotine sont destinés uniquement aux fumeurs adultes qui ne parviennent pas à arrêter. Mais leur efficacité réelle fait débat, tout comme leur potentiel addictif. Pour y voir plus clair, nous avons interrogé l’un des plus grands spécialistes mondiaux de la dépendance au tabac : le Dr Karl Fagerström.
Rencontré en visio-conférence, nous depuis Washington, lui à Stockholm, ce psychologue suédois, connu pour avoir créé le test éponyme qui évalue le niveau de dépendance à la nicotine, rappelle que « la nicotine reste une substance addictive », mais que « les risques sanitaires qu’elle entraîne sont largement liés à son mode de consommation. » Selon lui, les sachets, comme les gommes ou les patchs, s’inscrivent dans une stratégie de réduction des risques, à condition d’être utilisés par le bon public. « Ce type de produit peut offrir une alternative intéressante à certains fumeurs très dépendants, mais il ne faut pas le promouvoir auprès des non-fumeurs ni des jeunes. »
Ce que dit la science
Contrairement à une idée reçue encore tenace, ce n’est pas la nicotine qui est nocive pour les fumeurs, mais bien les substances issues de la combustion du tabac. La nicotine, bien qu’addictive, n’est pas cancérigène en elle-même. Ce constat, largement partagé dans la littérature scientifique, a conduit de nombreux pays à encourager des produits dits « sans fumée », à l’image des patchs, gommes ou sachets.
Les sachets de nicotine ne contiennent ni tabac, ni combustion, ni particules fines. Leur profil toxicologique est donc nettement plus favorable que celui de la cigarette, comme l’a reconnu la FDA dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché de ZYN, en janvier 2025.
Certes, le recul scientifique reste limité, et des recherches complémentaires sont nécessaires, notamment sur les effets bucco-dentaires à long terme. Mais pour l’essentiel, les risques identifiés sont sans commune mesure avec ceux associés au tabac fumé.
Quant à l’addiction, elle reste présente — car la nicotine demeure un stimulant. Mais le changement de support constitue déjà une avancée majeure pour de nombreux fumeurs qui ne parviennent pas à se sevrer totalement.
Des garde-fous demandés par les Américains
Aux États-Unis, le Dr Scott Gottlieb, ancien commissaire de la Food and Drug Administration (FDA), a contribué à structurer le cadre actuel : autorisations produit par produit, vente interdite aux moins de 21 ans, et surveillance active des arômes jugés trop attrayants pour les jeunes.
« Interdire un produit moins nocif sans offrir d’alternative crédible, c’est risquer de maintenir des millions de fumeurs dans la cigarette. Nous devons éviter les erreurs commises avec l’e-cigarette, mal régulée au départ, et qui a attiré une population adolescente. Les sachets peuvent être encadrés intelligemment », estime le Dr Scott Gottlieb, depuis l’usine d’Owensboro.
Tom Price, ancien secrétaire à la Santé et aux Services sociaux dans l’administration Trump, ne cache pas non plus son soutien aux sachets de nicotine. Rencontré lors de notre reportage aux États-Unis, l’ancien médecin ne cache pas son mépris de la cigarette : « La nicotine ne tue pas. La cigarette tue. C’est d’ailleurs ce qui a tué mon père, qui fumait des cigarettes sans filtre. »
Pour lui, les sachets de nicotine ne sont pas une porte d’entrée, mais une sortie possible pour des millions de fumeurs adultes. À condition de rester réservés aux adultes. « Je m’engage à contacter des politiciens français pour leur faire part de notre expérience ici, aux États-Unis, avec les sachets de nicotine. Ils sauvent des vies. »
En France, un débat encore binaire
La France a longtemps adopté une stratégie de lutte contre le tabac fondée sur l’interdiction, la taxation et les campagnes de prévention. Elle-même ancienne fumeuse, la ministre de la Santé et des Familles Catherine Vautrin croit en une « génération sans tabac » et c’est en ce sens qu’elle a annoncé la mise en place des « espaces sans tabac » depuis le 1er juillet.
Des mesures qui peinent à atteindre certains publics. Selon les données de Santé publique France, les plus pauvres sont aussi ceux qui fument le plus. Parmi les personnes au chômage, 42 % se déclarent fumeurs, contre 26 % chez les actifs occupés et 19 % chez les étudiants. Une inégalité que Fabienne El-Khoury, chercheuse en épidémiologie sociale, explique ainsi : « La dépendance à la nicotine est en moyenne plus importante chez les personnes issues de milieux défavorisés, en partie à cause du stress lui-même lié à leur situation socio-économique. »
Dans ce contexte, les sachets de nicotine — plus discrets, plus abordables et moins nocifs — pourraient jouer un rôle. Des députés et des sénateurs ont déposé plusieurs propositions de loi visant à réguler l’usage des pouches. Ils demandent un débat au Parlement, sur une question qui dépasse largement le produit lui-même. Elle renvoie à un choix de société : celui d’interdire tout ce qui contient de la nicotine, au risque de laisser la cigarette en position dominante.
Par Matilde Abidi
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