Entre islam et libertés individuelles, le Maroc à la recherche d’un équilibre
Après la réforme du Code de la famille de 2003, après la révision constitutionnelle de 2011, le Maroc serait-il sur le point de s’attaquer à une refonte en profondeur de son Code Pénal ?
Le 29 octobre 2019, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) a en tous cas présenté un mémorandum allant dans ce sens et le soumettra au Parlement marocain sous peu. Le texte émet des recommandations visant à assouplir un certain nombre de dispositions relatives aux libertés individuelles avec notamment en ligne de mire les relations sexuelles hors mariage, l’avortement ou la liberté de conscience.
Une transformation de la société
Dans une étude de l’Institut Thomas More, la chercheuse Sophie de Peyret montre combien ce type de démarche apparaît presque transgressif pour la frange conservatrice de la population tant ces recommandations vont à l’encontre des principes islamiques traditionnels sur lequel reposent les articles de la loi actuelle. Lorsque des manifestants sont arrêtés pour avoir mangé en public pendant les heures de jeûne du ramadan (article 222 du Code pénal) ou que d’autres sont punis pour avoir « employé des moyens de séduction susceptibles d’ébranler la foi la foi ou de convertir à une autre religion » (article 220 du Code pénal), ce sont bien des motifs religieux qui justifient les sanctions pénales.
Différents facteurs sous-tendent cependant la stratégie du CNDH. Tout d’abord, la transformation de la société, la mondialisation, le large accès aux moyens de communication ont fait naître de nombreuses revendications dans la société civile. De plus, le pays a toujours adopté une interprétation équilibrée des principes religieux en tenant compte du contexte et de l’intérêt général si bien que l’islam au Maroc est fréquemment appelé « islam du juste milieu » ou « wasatiyya ». Le texte du CNDH, tout en répondant aux attentes des Marocains, s’inscrit donc dans cette conception lorsqu’il plaide « pour un code pénal qui protège les libertés, et où sont respectés les principes de légitimité, de nécessité et de proportionnalité des lois.»
Une nouvelle dynamique
Si les recommandations du CNDH n’ont peut-être pas beaucoup de chances d’aboutir rapidement, compte tenu de la composition du Parlement dominé par les islamistes du PJD, elles sont néanmoins le signe d’une réelle dynamique. En écho aux réformes menées depuis plusieurs années dans le pays, elles montrent que la situation évolue. En matière d’égalité entre les femmes et les hommes, de dialogue interreligieux, d’interprétation mesurée des textes de la tradition musulmane, des avancées sont visibles : le nouveau Code de la famille a considérablement amélioré le statut de la femme, les organisations de défense des droits se multiplient et expriment ouvertement leurs revendications, les droits des minorités religieuses progressent, etc. En février 2014, par exemple, la Cour d’Appel de Fès a acquitté un Marocain converti au christianisme au motif que la Constitution garantit la liberté de culte.
Par touches successives, le Maroc poursuit sa mue et l’islam apparaît au moins autant comme un marqueur culturel, historique et identitaire que comme une contrainte dogmatique : de plus en plus, des préceptes religieux qui apparaissaient comme gravés à jamais dans une interprétation traditionnelle sont susceptibles d’être interprétés et adaptés au contexte. Ainsi, bien qu’il se définisse comme un État musulman, les différentes mesures prises par le royaume mènent progressivement à une autonomisation du religieux et du politique : « le royaume s’est engagé dans un processus, non pas de laïcisation, mais de sécularisation de ses structures » souligne l’Institut Thomas More.
Lors de l’accession au trône de Mohammed VI il y a vingt ans, de grandes attentes étaient exprimées par le peuple marocain, notamment en matière de réduction de la dualité entre progressistes et conservateurs. Cette dernière voit son système bouleversé en deux décennies et juge parfois ces réformes d’un œil inquiet. Dans une constante recherche d’équilibre entre ces deux pôles, des textes comme celui du CNDH sont régulièrement proposés. Mais, comme le souligne Sophie de Peyret, s’il reste malgré tout des résistances aux changements, celles-ci sont du registre des « mentalités qui, contrairement à des articles de loi, s’éduquent mais ne se décrètent pas. »