Exxelia a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 160 millions d’euros et emploie 2 000 salariés. Le groupe comptabilise 12 sites dans le monde, dont deux aux Etats-Unis et six en France. Sur Pessac, Exxelia produit des condensateurs permettant d’assurer la qualité du signal électrique. Ses composants sont implantés dans le monde médical, les transports, l’aéronautique (Airbus A350 et A320, Boeing 787) ou l’énergie. Ils sont également présents sur Ariane 5 et bientôt Ariane 6, l’avion Rafale et les sous-marins Barracuda.
Une performance XXL pour une entreprise née en 2009 à la suite d’une fusion de cinq sociétés. C’est la raison pour laquelle Heico compte mettre 453 millions d’euros sur la table pour prendre le contrôle de cette pépite industrielle française, d’après Capital Finance. Le management d’Exxelia conservera 5% du capital.
L’idée de vendre une entreprise nationale, exerçant dans le secteur militaire, à un groupe américain est cependant de moins en moins vue d’un bon œil dans la population française. « Le gouvernement a-t-il regardé si cette entreprise avait un intérêt stratégique ? Sachant que, si c’est le cas, le décret Montebourg permet de s’opposer à la vente d’une entreprise française à un groupe étranger », s’interroge la sénatrice (CRCE) Marie-Noëlle Lienemann.
Devant la mobilisation de différents acteurs politiques et économiques, le ministre de la Défense Sébastien Lecornu a personnellement tenu à répondre à une question du sénateur du Calvados Pascal Allizard lors de son audition au Sénat, le mardi 11 octobre : “d’un seul mot, ils font des choses qui nous intéressent très directement en souveraineté au-delà de l’intérêt industriel”.
Le rachat d’Exxelia rappelle l’affaire Photonis. Celle-ci a créé un précédent en montrant que le gouvernement avait les moyens, s’il le souhaitait, d’imposer des approches souveraines en renonçant à un investissement étranger pour protéger un actif stratégique, et que ces approches pouvaient aussi être pertinentes économiquement. En 2020, ce fleuron français de l’optronique, qui fabrique notamment des lunettes de visée nocturnes à destination des forces spéciales, était convoité par le géant américain Teledyne. Un projet face auquel les parlementaires hexagonaux s’étaient vivement opposés, dénonçant un risque pour la souveraineté du pays.
Cette levée de boucliers avait poussé le gouvernement à trouver une solution européenne. Une solution à la sortie de crise avait satisfait les différentes parties prenantes, quand HLD, le fonds d’investissement fondé par Jean-Bernard Lafonta, a fait une offre sur Photonis en 2021. « Notre objectif est de doubler, voire de tripler, le chiffre d’affaires de Photonis dans les cinq à dix ans qui viennent, en le développant notamment dans l’infrarouge », indiquait alors Jean-Bernard Lafonta. Le fonds HLD, connu notamment pour la vente du laboratoire français Filorga à Colgate-Palmolive pour 1,5 milliards d’euros ou le développement de Kiloutou en Europe, avait montré sa capacité à investir dans la défense en rachetant quelques années plus tôt 60 % de Rafaut, un fournisseur essentiel du Rafale, puis en le rapprochant d’Alkan créant ainsi un leader européen.
Avec le support d’HLD, Photonis a pu rester française et a même renforcé sa position de leadership tout en accélérant sa croissance. L’entreprise réalise aujourd’hui 165 millions d’euros de chiffre d’affaires, et compte 1 000 employés répartis sur 10 sites industriels en France, aux Pays Bas, au Mexique et aux Etats-Unis.
Quelques semaines après l’intervention d’HLD, on apprenait que le groupe américain Teledyne avait cherché à acquérir Photonis et une autre entreprise, Flir Systems, pour constituer un acteur dominant dans le domaine de l’optronique (infrarouge et intensification de lumière) qui aurait fragilisé de façon importante Lynred, la filiale à 50% de Safran et Thales, numéro deux mondial de la vision infrarouge. Selon La Tribune, Teledyne aurait omis à l’époque d’informer le gouvernement français de l’existence de ce plan et des projets d’acquisition de Flir Systems.
Propriétaire d’Exxelia depuis 2014, la société britannique IK Partners avait entamé en 2020 des négociations exclusives avec le fonds HLD. Ce dernier avait finalement fait le choix de reprendre Photonis l’année suivante.
Exxelia produit en masse des composants électroniques pour des secteurs sensibles, et « alors que la fabrication de ces composants, produit en grand volume, est partie à l’étranger, l’entreprise a gardé à Pessac la maîtrise de tout le process, depuis le matériau jusqu’à la production des composants », précise le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine.
Le projet d’Heico, qui doit se concrétiser début 2023, suscite donc des interrogations. Y voyant un risque pour la souveraineté du pays, Marie-Noëlle Lienemann vient justement de déposer une proposition de loi sur la création d’un programme national d’intelligence économique.
« Exxelia produit des éléments pour Ariane ou le Rafale. Je considère que c’est stratégique. Sachant que la loi américaine permet d’interdire la vente de certains produits à des pays, que se passerait-il si les relations avec les Etats-Unis se détérioraient ? Par ailleurs, on sait aussi que l’orientation de la R&D n’est pas neutre et pourrait se faire en fonction de projets plutôt américains que français ou européens », conclut la sénatrice.
À l’heure ou la guerre fait rage à nos portes, ou certains pays comme l’Allemagne paraissent ne pas vouloir jouer en équipe avec la France, est-il bien raisonnable de laisser d’autres Etats, même alliés, faire leur marché dans la BITD (Base industrielle et technologique de défense) tricolore ?