Prison : « un lieu vide d’activité et vide de sens »
Ayant passé plusieurs mois à suivre des détenus et des surveillants, Didier Fassin a écrit "l'ombre du monde" un livre sur la vie en prison.
Après avoir passé plusieurs mois entre 2009 et 2013 dans une prison de la région parisienne, le sociologue Didier Fassin a tiré de cette expérience un livre dressant un portrait sombre et complètement vide de la prison. Pour en arriver à une telle conclusion, l’anthropologue, professeur de sciences sociales à l’Institute for Advanced Study à Princeton, a effectué de nombreux voyages dans une maison d’arrêt, notant au passage toutes les humeurs des surveillants, le mode de vie des détenus et des gens qui viennent rendre visite.
Dans « l’ombre du monde », Didier Fassin décrit un système carcéral qui est déjà assez connu du grand public, mais avec une dimension plus intime. Le sociologue a parfois réussi à se faire oublier et a pu observer en détail la psychologie des surveillants, qui selon lui, tranche avec le travail des policiers.
La prison comme école du crime
Interrogé sur la sortie de son livre et de son expérience globale, Didier Fassin est revenu sur le rôle de la prison qui formerait des apprentis terroristes. « Des personnes incarcérées pour des délits mineurs entrent en contact avec des individus bien plus dangereux qui les entraînent dans la grande criminalité. C’était le sujet du film «Un prophète», de Jacques Audiard » explique t’il dans une interview pour le Nouvel Obs.
« Dans le cas des attentats récents, ces individus sont des religieux qui font du prosélytisme intégriste et incitent à la radicalisation violente. Ce qui, au-delà de ces cas, pose la double question de qui l’on met en prison et de ce que l’on fait de ces religieux. Or la réponse médiatique et politique semble se focaliser aujourd’hui sur le second aspect, en proposant l’isolement des musulmans radicaux afin qu’ils n’endoctrinent plus des jeunes influençables ».
Didier Fassin regrette l’absence de réinsertion
Toujours expliquant son livre à des journalistes, Didier Fassin est revenu sur la façon dont les condamnés entrent, mais surtout ressortent de prison. « Dans l’établissement où j’ai conduit mon étude, sept détenus sur huit avaient une «sortie sèche», c’est-à-dire sans préparation ni transition. Pour tous ceux ainsi sanctionnés pour des faits mineurs, qui auraient relevé d’amendes il y a deux ou trois décennies, la prison n’est donc qu’un lieu vide d’activité et vide de sens d’où l’on sort désinséré et stigmatisé. »