Hommage à Aldo Ciccolini
A la suite du décès du pianiste Aldo Ciccolini, un de ses amis a voulu publier un hommage au grand musicien.
Aldo, notre cher Aldo est parti, vers un monde supposé meilleur.
Ainsi après notre non moins chère Madame Liszt disparue trop tôt il y aura bientôt trois ans, notre cher monsieur “l’insistance publique” comme aimaient à le surnommer certains de ses élèves du Conservatoire est parti la rejoindre, ainsi que ses amis pianistes admirés, au premier rang desquels Wilhelm Backhaus, Arturo Benedetti Michelangeli, mais aussi Samson François qui avait dit d’Aldo qu’il était “la grâce”; Arthur Schnabel qu’Aldo avait rencontré lors de son premier récital aux Etats-Unis en 1949 ; cet encore autre Arthur, Rubinstein celui-là dont Aldo aimait le style impeccable dans les Mazurkas de Chopin; il rejoindra aussi ses amis Julius Katchen, Georges Cziffra ou Jorge Bolet, ou ses maîtres Paolo Denza, Marguerite Long, Alfred Cortot et Yves Nat ou des géants russes Vladimir Horowitz, Sviatoslav Richter et Emil Gilels.
Aldo fait partie du panthéon des grands pianistes et ce malgré son inclination naturelle à ne pas vouloir être considéré comme une “star”… il est pourtant l’égal de tous ces titans du clavier, car enfin quelle prodigieuse carrière que la sienne!
Depuis 1949, jusqu’à il y a quelques semaines, cet homme-là n’aura jamais dételé, n’aura jamais mis sa vie de globe-trotter du piano entre parenthèses, même après une opération chirurgicale lourde survenue en 1984 il partait se reposer… en faisant une tournée aux Etats-Unis!
Très peu de pianistes, y compris parmi les plus grands, peuvent se targuer d’une telle longévité sur scène.
Mais Aldo aura aussi été en plus de l’immense pianiste qui laissera des souvenirs mémorables à une multitude de gens de par le monde, un très grand pédagogue… car parlant en ami et en guide et pas en vulgaire “prof’. Doué d’un calme, d’une patience, d’une science tant humaine et je dirais même psychologique que musicale, il était comme une source d’énergie vitale. Bien des fois je suis reparti de chez lui gonflé à bloc et comme rasséréné avec trois fois plus d’énergie qu’en y arrivant, et je suis sûr que bien d’autres élèves que moi et de moins modestes, ont ressenti la même chose. Je pense à ces grands pianistes qui sont tous ses enfants spirituels, de Jean-Yves Thibaudet à Marie-Josèphe Jude, d’Akiko Ebi qui parle si bien de lui à Nicholas Angelich. Que ceux dont j’omets les noms me pardonnent: je viens juste de citer la partie immergée de l’iceberg qui constituait ses enfant en “ribammbelle”, comme il aimait à le dire.
Aldo avait été très marqué par le souhait (ou était-ce une prophétie?) d’un des premiers grands chefs avec qui il avait eu l’honneur de travailler : Dimitri Mitropoulos. Celui-ci se voyait mourir sur scène ou au Mont Athos, et il est mort en répétition. Aldo ne nous a pas quitté en plein concert c’est vrai… mais il y a encore peu de temps il était en tournée au Japon, et le 20 novembre il enregistrait la Sonate de Grieg pour l’émission de notre ami Philippe Cassard “Notes du traducteur” qui nous offrait sans le savoir, une émission chant du cygne très émouvante.
Pour ma part, ce qui m’a toujours fasciné chez Aldo, c’est cette connaissance illimitée de la musique, et pas seulement pour le piano. Cette science musicale infinie semblait ne pas avoir de bornes et elle se reflète dans l’étendue phénoménale de son répertoire, enregistré ou non.
Je me souviens d’une soirée en particulier, chez lui, où nous évoquions nos partitions préférées pour orchestre. Nous avions parlé d’oeuvres aussi différentes que la Symphonie inachevée de Schubert et Schéhérazade de Rimsky-Korsakov. à un moment, Aldo s’est installé devant son Fazioli et m’a joué des pans entiers de ces deux oeuvres de mémoire… je crois que de ma vie, je n’ai jamais été autant subjugué que ce soir-là…
Aldo a cette simplicité que seuls possèdent les vrais grands artistes, et il restera à jamais dans la mémoire de ceux qui l’ont connu et ont travaillé avec lui, comme une source de joies musicales, d’amitié. Comme un géant de la musique sous l’apparence d’un homme simple, généreux et disponible.
Aldo, tu nous manques déjà…