Cora et les réseaux sociaux : les internautes passent à la consom’action
L’enseigne d’hypermarché Cora a été contrainte de renoncer à une procédure de licenciement suite à la mobilisation d’internautes indignés par son motif (un vol de ticket de caisse).
Nouveau cas d’école en matière d’e-réputation des entreprises. L’émotion suscitée par la convocation d’une salariée en vue d’un licenciement pour faute grave aura acculé la direction de Cora Mondelange (Moselle) à revenir sur sa décision face à l’ampleur de la mobilisation sur les réseaux sociaux. Retraçons rapidement le traitement médiatique de l’affaire, dont vous avez probablement déjà eu écho. Le quotidien Le Républicain Lorrain est le premier à semer la poudre lorsqu’il publie le 26 octobre au petit matin un court « fait divers » intitulé « Mondelange : menacée de licenciement pour un ticket de caisse.» France Inter donne une ampleur nationale en diffusant la parole de l’intéressée dans son édition du matin. Déjà, l’image de marque de l’enseigne est altérée par la scène médiatique mais ce sont les internautes qui vont réellement mettre le feu aux poudres en exprimant frontalement leur colère sur Twitter et Facebook.
Les journalistes ont mis en lumière un fait divers qui semble être d’une injustice sociale suffisamment flagrante pour que la foule connectée prenne le relais de la mobilisation pour faire des réseaux sociaux un moyen de pression direct. La condamnation de l’employeur en prud’hommes semblait pourtant inévitable : la salariée était protégée par le statut de délégué syndical et la faute grave semble ici difficile à caractériser. Mais le retentissement de ce fait divers trouve un écho particulier en ces temps d’inquiétude face à l’avenir et d’exaspération face à ceux que certains désignent comme les « puissants ». Autant dire que les pages Facebook de l’enseigne Cora hypermarchés et CORA (destinée aux clients hongrois) ont littéralement été prises d’assaut par les internautes indignés du traitement de la caissière. Cora a commencé par vouloir faire table rase des propos en supprimant les commentaires indésirables dès la fin de matinée. Ce genre de stratégie de communication de crise est finalement aussi lucide qu’ouvrir les fenêtres d’une maison en flammes. Probablement que les décisionnaires ont espéré masquer la fumée qui s’échappait du feu de leurs critiques mais cela n’a eu pour effet que d’attiser la colère des internautes. Pourtant à l’heure où cet article est rédigé il semblerait que le community manager de Cora (chargé de l’animation des médias sociaux) ait encore recours à cette fausse bonne idée puisque des internautes se plaignent de voir leurs interventions muselées par une suppression. De fait, ils renouvellent avec acharnement leur publication jusqu’à ce que le modérateur s’épuise… Pendant ce temps sur Twitter, le numéro de l’établissement mosellan était retweeté pour saturer le standard et le topic #cora grimpait dans les trending topics (classement des sujets les plus abordés par la twittosphère) jusqu’à atteindre la première place dans la nuit du 26 au 27 octobre. Mercredi soir, Twitter aurait alimenté le débat au rythme de près de 374 mentions par heure. En fin de journée, la page francophone Hypermachés Cora annonçait que « la direction de cora Mondelange a décidé de ne pas poursuivre la procédure engagée à l’encontre d’une salariée du magasin. Nous avons conscience de l’émotion suscitée par les informations parues depuis ce matin ». Plus de 800 commentaires négatifs fusèrent suite à cette issue plutôt heureuse faisant un amalgame systématique entre la décision du directeur de l’établissement mosellan et la politique sociale de la filiale. L’enseigne a définitivement souffert de ne pas avoir mis en place une cellule de crise capable de répondre sincèrement à la vive émotion des internautes. La stratégie de silence dans laquelle le community manager s’est enfermé consiste à se recroqueviller tant bien que mal en attendant que la tempête ait fini ses ravages. Or si les réseaux sociaux deviennent actuellement l’interface entre les consommateurs et les marques c’est bien par souci de rentrer en communication avec les représentants institutionnels. Facebook devient le point de ralliement des indignés qui s’offrent la possibilité sans précédent de pouvoir faire entendre leur voix au balcon des sociétés. Une campagne de dénigrement devient d’autant plus préjudiciable qu’elle laisse des traces indélébiles dans la mémoire du web en toute transparence. Pourtant les entreprises devraient finir par prendre conscience de l’impact considérable que peut avoir un bad buzz sur leur image de marque, voire même leur cotation en bourse. On se souvient cette année de la mobilisation populaire sur les médias sociaux face à la procédure de licenciement d’un réassortisseur de Monoprix pour avoir emporté à son domicile des légumes placés dans une benne, des vives critiques essuyées par Kookaï suite au licenciement sur doléance de Mme Morano, l’accusation de sexisme de Petit-Bateau ou le décès d’un jeune client après s’être restauré chez Quick. Les « consonautes » s’approprient les canaux de communication en ligne comme un moyen de revendiquer leur consom’action et appeler au boycott des enseignes qu’ils estiment indignes de fréquenter. Alors que l’acte de consommation implique de plus en plus de caractéristiques politiques propre à la mondialisation, l’environnement ou le traitement des salariés, il devient primordial pour les sociétés, au delà des campagnes publicitaires, d’engager le dialogue avec les consommateurs. Dans cette perspective une prise de parole directe d’un responsable de Cora aurait probablement été salué et tout du moins, aurait permis d’échapper à la logique verticale du communiqué de presse lapidaire publié par un community manager débordé.