Où en est le livre numérique?
Le salon du livre cru 2012 s'est terminé cette semaine. Amazon était présent pour la première fois. Etat des lieux du livre numérique.
On trouve de tout au salon du livre. Des livres bien sûr, mais pas que. Entre les grands éditeurs, les espaces loués par différents pays, des adolescents déguisés en héros de manga, et des stands Häagen-Dazs: probablement pour éponger la soif de culture des visiteurs.
Mais cette année a surtout vu pour la première fois la présence d’Amazon dans l’espace consacré au livre numérique. Venu mettre en avant son nouveau produit phare la liseuse “Kindle”, le géant américain cherche à s’imposer comme leader dans un marché français encore balbutiant.
1% du marché
Rapporter ce que représente le pourcentage de vente de livres numériques à par exemple l’œuvre papier de ” A la recherche du temps perdu “ de Marcel Proust (soit grosso modo selon les différentes éditions, entre 2300 et 3000 pages) reviendrait à quelques pages (sans la préface et les notes explicatives). Plus prosaïquement c’est 12 millions d’euros sur un marché de l’édition qui représente 4,3 milliards d’euros par an. A titre comparatif, aux Etats-Unis, les ventes du livre numérique équivalent à 15% des ventes.
Si l’encre numérique n’a pas encore séché dans l’esprit des français, plusieurs explications à cela.
Absence de modèle économique
Chez les professionnels du livre, ” l’absence de modèle économique avéré laisse quelque peu craintifs les éditeurs “ explique Marc Guillard, chef du département diffusion du Centre National du Livre (organisme public de soutien à la chaîne du livre).
Pour remédier à cela, le CNL accompagne les éditeurs dans cette nouvelle démarche, à savoir 70% du coût de la numérisation est pris en charge par l’organisme rattaché au ministère de la Culture. ” Cela représente annuellement 2 millions 900 mille euros “. Il y a de quoi être étonné par cette subvention. Mais à mesure que le livre numérique se développe ” il y a un risque de piratage accru, il vaut donc mieux accompagner le phénomène “, répond Marc Guillard. Pour l’instant le piratage de livre ne représente qu’une goutte d’encre dans un océan de pages blanches (40 000 titres sur les réseaux Peer-to-Peer selon une récente enquête de l’Observatoire du livre numérique et de l’écrit en Ile-de-France. Les bandes-dessinées étant le principal support piraté). L’avenir dira si à l’image de l’industrie du disque qui au début des années 2000 s’est laissé déborder par le Mp3, les éditeurs auront su garder le contrôle de leur production.
Trop chers et offre pas assez développée
La remise entre un livre papier et un livre numérique n’est en moyenne que de 20%, alors que la numérisation d’un livre est 30% moins onéreuse que l’impression. ” Les éditeurs doivent revoir leur politique de prix. Les lecteurs se montreraient plus intéressés si le prix était entre 30 et 40 % moins chers “, résume le directeur de la diffusion du CNL.
Le Centre d’analyse stratégique (CAS), service du Premier ministre chargé de définir les orientations stratégiques a présenté en début de semaine des propositions pour développer le livre numérique. Parmi elles, le CAS propose une concertation avec les éditeurs en vue de fixer un taux limite de remise par rapport à l’alter ego papier.
L’autre point noir mit en exergue les pro-livres numériques, est une offre pas assez développée. Un livre papier sur cinq est publié sous format numérique. De plus la dispersion des plates-formes ne facilite pas l’achat. Actuellement ce sont quatre e-distributeurs qui se disputent le marché. Amazon avec 60% des ventes remportent la mise.
” Rien ne pourra remplacer le livre en papier “
557 ans après la première impression de la Bible par Gutenberg, tout le monde ne voit pas l’arrivée du livre numérique de la même manière. Si les pouvoirs publics l’encouragent et les grands groupes de l’édition française s’y mettent bon an mal an, il suffit juste de traverser quelques allées bondées du salon du Livre pour entendre un autre son de cloche.
Chez Zulma, maison d’édition qui ces dernières années a obtenu de très beaux succès auprès de la critique et du public avec notamment des auteurs comme Jean-Marie Blas de Roblès ou Hubert Haddad, le e-book n’est pas à l’ordre du jour. ” Rien ne pourra remplacer le livre en papier “, explique avec passion Laure Leroy, directrice chez Zulma. ” Notre travail, c’est avec les libraires exclusivement. On fait beaucoup de bruit pour rien avec le livre numérique. Pendant ce temps-là, on ne traite pas des autres problèmes du livre “, poursuit-elle. Elle n’est pas la seule à partager ce point de vue. Des auteurs comme Frédéric Beigbeder pourtant si prompt à saisir ” l’air du temps “ ou l’américain Jonathan Franzen se sont publiquement opposés au livre numérique.
Et les libraires?
” Effectivement, il y a tout de même un risque pour les librairies “, reconnaît Marc Guillard. Le rapport du CAS préconise de soutenir les libraires en partageant l’offre numérique sur une même plate-forme et en les incitant à ouvrir le chapitre d’internet. Avec une rentabilité oscillant entre 0,6% et 2%, la marge de manœuvre des libraires est tout de même fragile.
Quand on les interroge, ces derniers se montrent pour l’instant assez dubitatifs quant à la fin du livre papier: ” nous, notre métier c’est de proposer autre chose qu’un simple produit “, raconte Carole Marc, libraire à Saint Pol de léon en Bretagne. ” On ne ressent pour l’instant aucune crainte. On sait que cela prend de l’ampleur, mais vendre du livre numérique c’est un autre métier que le nôtre. Je ne me vois pas avoir une librairie avec des bornes de téléchargement “, ajoute-t-elle entre deux ventes.
Lire un roman sur écran d’ordinateur est aussi agréable qu’un safari sans lunettes de soleil. La fatigue due à la lecture sur écran est le principal inconvénient (58%), comme le révèle un sondage réalisé par l’institut Ipsos pour le magazine Livres Hebdo dans un dossier datant du 18 mars 2011. Pour autant le frein devrait se baisser si l’on croit Amazon qui souligne d’un oxymore technologique que sa liseuse ” se lit comme un livre papier “.
La question du support est centrale pour que le développement du livre numérique s’affirme. L’essor récent des tablettes et son succès, laissent à penser que la France est néanmoins prête à l’instar des pays anglo-saxon à franchir le cap. Il n’est pas insensé de penser que les jeunes générations qui sont rompues à cette nouvelle technologie, seront le ressort sur lequel le livre numérique prendra toute sa puissance.
Le deuxième point que soulève l’enquête menée par Livres Hebdo, indique que l’absence de contact physique avec le livre est un problème pour 56% des sondés. Le bouquin est sacré en France, et la présence d’Amazon fait sourire bon nombre de petits éditeurs. C’est de la com. Tout le monde sait qu’ Amazon perd de l’argent accuse Laure Leroy de Zulma. ” Le livre est pour eux un produit d’appel pour que l’on achète des machines à laver “. Alors à quand la e-machine à laver pour vendre des livres?