Qu’est-ce que la “shrinkflation”, la stratégie commerciale qui berne les consommateurs ?
Moins de produit, mais prix stable voire en hausse : c'est la méthode courante de certaines marques pour augmenter leurs profits.
Tout d’abord, une explication sur la formation de ce mot, contraction de “to shrink”, en anglais, qui signifie “rétrécir”, et “inflation”. Dès lors on comprend immédiatement de quoi il retourne : il s’agit, par exemple, de proposer moins de céréales dans un paquet de même contenant qu’à l’accoutumée, tout en gardant le prix à son même niveau voire en l’augmentant légèrement. C’est la shrinkflation, stratégie qui permet le camouflage de la hausse d’un prix.
Edgar Dworsky, spécialiste américain de la défense des consommateurs, traque cette triche depuis plus de vingt ans. Car si la technique n’est pas nouvelle, il semblerait qu’elle se multiplie. D’après lui, les industriels la pratiquent car “ils ont intégré les coûts (du re-calibrage) et s’ils ont 0,5% des consommateurs qui se plaignent, ils leur envoient des bons d’achat pour qu’ils continuent à acheter”.
Un phénomène qui s’accroît au tournant du siècle
Si la première utilisation du terme est difficile à tracer, le début du 21è siècle marque sa une augmentation de sa popularité.
Quelques exemples ? En France, Coca-Cola avait en 2018 compensé les effets de la “taxe soda” en passant sa bouteille de 2 litres contre une de 1,75 litre, et celle d’1,5 litre par 1,25 litre. La hausse de prix était de l’ordre de de 10 centimes par unité. Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution, avait à l’époque indiqué que l’explication avait une autre origine que cette taxe: “La bouteille de 1,5 litre était autour de 1,40 euro. Celle de 1,25 litre est aujourd’hui entre 1,4 et 1,49 euro. Si on regarde le prix au litre, il a progressé de 20% environ. Pour moitié due à la taxe soda, pour moitié à un effet d’opportunité”.
Beaucoup plus loin, le Japon est lui aussi touché par le phénomène, en raison d’une monnaie en perte de puissance et d’une économie en retrait. C’était particulièrement le cas pour les tablettes de chocolat.
Plus proche maintenant, outre-Manche. Avant même le Brexit, qui a fait plonger la Livre et réduit les marges des entreprises, certains biens ont vu leur quantité diminuer et leur prix maintenu. Exemple marquant : en 2016, le Toblerone contenait moins de triangles de chocolat. Même si après le Brexit le phénomène n’a pas connu d’accélération, cela pourrait être le cas dans les années à venir pour compenser les pertes économiques.
Certains “bad buzz” font réagir les marques
Si les industriels laissent une faible part des consommateurs réagir de façon négative (sans toutefois appeler au boycott, hormis quelques rares cas), des sociétés préfèrent rendre publiques leur technique de shrinkflation. Ainsi en 2015, Cadbury qui contrôle plus de la moitié du marché du chocolat en Australie, avait préféré annoncer aux consommateurs via Facebook par exemple, que la tablette de chocolat basique passerait de 250 à 220 grammes, et sans en baisser son prix.
Si certains clients appréciaient cette transparence, d’autres s’étaient montré beaucoup moins compréhensifs.
Quel avenir pour la shrinkflation ?
Retour en 2021. Ce phénomène est-il voué à être réversible ? Anand Krishnamoorthy, professeur de marketing à l’université de Californie Centrale, pense que si les marques peuvent être poussées à y avoir recours en période de tensions économiques, rien ne les incite à reculer.
Pierre Chandon, son homologue de la Sorbonne à Paris, regarde le phénomène côté consommateurs : “Peut-être avons-nous appris que ces choses sont normales et que si nous nous faisons avoir, c’est que nous sommes de mauvais acheteurs”. Et puis, cette fois sous l’angle de la santé publique, la shrinkflation pourrait être bénéfique : avec de moindres quantités de produits, nous sommes peut-être moins enclins à consommer beaucoup.