Paris : le tourisme dans les “no-go zones” se développe
Loin des clichés véhiculés par Fox News, les "No-go News" de Paris se visitent tranquillement : un autre tourisme pour un autre Paris.
On se souvient qu’au moment des attentats de Charlie Hebdo, la chaîne américaine Fox News avait fait parler d’elle en présentant des quartiers de Paris comme “no-go zone”, des zones de non-droits où même les forces de l’ordre ne voudraient plus se rendre et où s’appliquerait la charia.
Face aux moqueries et réponses des Français sur les réseaux sociaux, la chaîne avait présenté des excuses. Mais depuis le mot est resté. Et une idée a germé : un tourisme décalé, urbain et éthique, commence à se développer dans ces quartiers populaires à Paris.
Après le reportage de Fox News diffusé dans la foulée des attentats de janvier, et évoquant des zones de non-droit où s’appliquerait la charia, “des amis américains vivant à Paris m’ont raconté avoir reçu des coups de fil affolés de leurs proches dans l’Ohio qui leur demandaient s’ils étaient en sécurité“, raconte Lionel Kaplan, dirigeant de l’agence Mediatrium.
Pour répondre à “l’image erronée et injuste” véhiculée par ce reportage, il a eu l’idée de lancer un site, nogozones.fr, qui propose aux touristes américains de les mettre en relation avec des riverains pour “découvrir le Paris dangereux” — un terme contrastant volontairement avec les photos idylliques postées en illustration.
Tourisme dans les no-go zones : découvrir un Paris différent
Le Conseil de Paris devait, lui, donner son feu vert mardi au dépôt d’une plainte pour diffamation contre Fox News par la maire Anne Hidalgo.
Le site compte ouvrir à la fin du mois. Mais le tourisme urbain existe déjà dans ces quartiers populaires, où des associations travaillent à expliquer rues et boutiques au visiteur non initié.
“L’idée c’est de découvrir de l’intérieur, pour aller à la rencontre du patrimoine culturel, alimentaire ou vestimentaire”, explique Stefan Buljat, responsable de l’agence de voyages éthiques Bastina.
Autour de lui, les badauds se pressent au marché de Château-Rouge, dans le 18e arrondissement, où il organise une fois par mois un tour du “petit Mali”.
Des Africaines en tenue traditionnelle examinent l’assortiment de poissons arrivés de Dakar — capitaine, vivanneau, mâchoiron. Bananes plantains, patates douces et manioc s’exposent à l’étal des épiceries.
“Ce n’est pas cher. Si on veut faire un bon plat africain, il faut passer par là”, assure Amar, l’un des “passeurs de culture” de l’Association des Jeunes de Marena Diombougou avec qui travaille Bastina.
Les touristes d’un jour poussent aussi la porte d’un bijoutier, ou découvrent dans un magasin de pharmacopée les vertus des écorces entassées dans les paniers en osier.
Les clients de l’agence habitent pour beaucoup en région parisienne, “mais ils hésitent à visiter seuls parce qu’ils n’ont pas les codes. Avec nous ils osent, et ensuite reviennent, et cela crée du lien social”, explique M. Buljat.
Paris : trouver le “Pagne Obama”
Mais l’intérêt dépasse les frontières, avec 20% d’étrangers dans la clientèle: “Il y a peu, nous avons organisé un circuit pour des étudiants américains, autour de la sape africaine”. Car le quartier regorge de vendeurs de wax, ce tissu traditionnel prisé des élégantes africaines.
“Vous avez le pagne Obama ?” Dans une boutique, un homme en costume sombre est venu acheter le dernier imprimé à la mode pour sa femme: un wax lourd, imprimé d’escarpins ou de sacs à main, inspiré de l’épouse du président américain.
A 82 euros le pagne, le tissu n’est pas donné. “Mais c’est la meilleure qualité”, assure le vendeur. Et certains Africains en visite n’hésiteront pas à ramener le tissu chez eux, “parce que ça vient de Paris et a donc plus de valeur...”.
Au-delà de l’aspect folklorique, le circuit permet aussi de retracer l’histoire complexe de ce quartier, avec un arrêt dans la rue Myrha, objet d’une violente polémique en 2010 lorsque Marine Le Pen avait parlé d'”occupation” à propos des prières de rue.
D’autres organismes que Bastina investissent timidement ce créneau. “Cela reste un tourisme de niche”, note François Navarro, directeur du comité régional du tourisme de Paris Ile-de-France. “Mais il se développe, avec une demande des touristes de vivre ‘le vrai Paris des Parisiens'”.
Aussi M. Navarro compte-t-il promouvoir les cultures urbaines auprès des tours-opérateurs américains, en leur vendant l’idée de circuits “street art”.
“On a du mal à positionner Paris comme une destination jeune“, regrette-t-il. “Mais en même temps il y a une offre, il faut la fédérer, et la vendre, parce qu’elle existe”.