Patrice Leconte (documentaires “Boutiques obscures”) : “Plus j’avance dans ce métier, plus j’ai le trac !” (Interview)

Du lundi 25 au 29 Mars à 9h15, la chaîne France 3 diffusera une collection documentaire signée par le réalisateur Patrice Leconte qui est allé à la rencontre avec sa caméra des petits commerces et de ceux qui les font. Le réalisateur a répondu aux questions de 24matins.

Tout le monde connait Patrice Leconte et ses (très) nombreux films à succès entrés dans la mémoire collective comme la saga des ‘Bronzés’, ‘Tandem’, ‘Le Mari de la Coiffeuse’, ‘Circulez y’a rien à voir’, ‘Les Spécialistes’, ‘Les Grands Ducs’, ‘Ridicule’, ‘La Fille sur le Pont’…Pour France 3, il a dressé le portrait de ces commerçants qui, contre vents et marées, poursuivent leurs activités faisant perdurer ces petits commerces au parfum de nostalgie, guidés par leur passion et l’amour de leur métier, dans un monde en pleine mutation économique…

Lionel Durel pour 24matins : Patrice Leconte, vous signez pour France 3 “Boutiques obscures” 16 portraits de petits commerçants rencontrés à travers la France, le tout réuni en 5 documentaires de 52 minutes. Comment est née l’idée ?
Patrice Leconte : Je suis originaire de Tours et dans une ville située aux alentours (Montrichard -NDLR) existe une boutique “Le Bazar bleu”. Cette boutique m’a toujours intrigué. Je l’ai découverte car je suis parrain d’un cinéma dans cette commune. Je vois ce commerce décrépi, un peu étrange il faut bien le dire, faisant un angle. J’entre, je circule dans les rayons et je vois le propriétaire un peu désenchanté et en sortant du “Bazar bleu”, je me suis dit : ‘Voilà, c’est ça que j’ai envie de faire : une collection de magasins disséminés un peu partout en France et surtout qui risquent de ne pas durer éternellement car les propriétaires sont âgés, et parce que Internet, les grandes surfaces, Etc. L’idée étant de garder une trace de ses boutiques’…

Ces boutiques désormais provisoires

L’idée de départ c’était de faire le portrait du commerçant ou celui de leur boutique ?
Les deux ! Par ailleurs notez que le propriétaire du “Bazar bleu” a refusé d’être dans cette collection documentaire sentant la fin proche, son commerce prenant l’eau de toute part, il ne voulait pas montrer cela, ce n’était à ses yeux ‘pas gai’.

Comment avez-vous réussi à trouver tous ces magasins uniques ?
(Amusé). Il n’y a rien d’existant qui recense ce type de commerce qui sont pour la plupart désormais ‘provisoires’. On a trouvé nos adresses grâce au bouche à oreille, principalement. Ensuite, nous contactions les propriétaires, je me déplaçais personnellement. Nous n’avons pas eu de refus si ce n’est le “Bazar bleu”…

Niveau équipe de tournage vous étiez combien lorsque vous débarquiez chez les commerçants ?
Déjà, pour ne pas ‘débarquer’, ne pas ‘affoler’, j’arrivais la veille en passant la soirée avec les personnes afin de faire connaissance et surtout de les mettre en confiance. Au total, nous étions 4 lors des tournages et ces derniers duraient 2 jours.

Tourner à L’iphone, je trouve ça un peu bidon

A l’instar de Claude Lelouch dans son prochain film et afin de ne pas impressionner vos interlocuteurs, pourquoi ne pas avoir tourné vos reportages à L’iphone, c’est moins intrusif, moins impressionnant…
(surpris par la question)…Oui, pourquoi pas (hésitant). Je trouve ça un peu bidon. Nous n’avions pas une grosse caméra, elle n’était pas intrusive et au moins, c’est une super qualité ! Enfin, Claude Lelouch a le droit de faire cela…

Quelles sont les difficultés dans ce genre de tournage / documentaire par rapport à un film avec des comédiens ?
Les commerçants n’ont pas l’habitude de se retrouver face caméra et filmés. Là, nous sommes à la merci du réel. Autant dans un long-métrage avec des comédiens ont décide de tout, autant là tout peut arriver, ce qui n’est pas détestable.

Plus j’avance dans ce métier, plus j’ai le trac

J’ai été étonné de vous entendre dire dans un “making-of” : “Le trac à duré de films en films. Il fallait trouver une mise en scène différente, gérer les commerçants, s’adapter aux lieux (…)” Avec l’expérience que vous avez, vous entendre dire cela peut quand même surprendre !”…
C’est bizarre mais plus j’avance dans ce métier, plus j’ai le trac. C’est peut-être lié à un degré d’exigence plus fort…je me dis ‘comment je vais aborder le sujet ?’, ‘à quoi ça va ressembler au final ?’…Je n’ai pas envie de faire quelque chose de banal, du coup, je me mets inconsciemment la pression.

Les commerçants rencontrés sont authentiques et véhicule un enthousiasme dynamisant

Les ’boutiques obscures’ sont de véritables leçons de vie par les personnages qui les tiennent…
J’ai toujours aimé m’intéresser aux gens normaux, aux ‘petites gens’, les grands de ce monde ne m’intéressent pas. Ces gens de ‘la vraie vie’ sont toujours captivant à partir du moment où l’on s’intéresse à eux. Ils sont authentiques, sincères. Ils sont passionnés et véhicule un enthousiasme dynamisant, ils ont pour beaucoup une force de caractère qui force l’admiration.

Filmer les petits commerçants atypiques en voie de disparition qui pour beaucoup risquent de sombrer face aux géants de la distribution, ce n’est pas un peu triste ? Nostalgique…
Oui, mes documentaires montrent une sorte de nostalgie, d’émotion car on sait qu’ils vont finir par disparaitre. Mais une chose m’a marqué : aucun des commerçants rencontrés n’est dans la plainte. Ils restent totalement enthousiastes malgré tout. Sur les 16 films, certains sont un peu plus tristes, d’autres plutôt joyeux, c’est un beau melting-pot.

Ce qui m’a surpris c’est que finalement on voit peu de client dans vos reportages ?
(Rires). Pour être honnête, cela ne m’intéressait pas beaucoup ! C’était un peu banal, sans aucune plus-value pour la collection.

Ces commerçants créent du lien social

On se rend compte d’une chose en visionnant vos reportages : C’est la richesse qu’apportent ces commerçants aux petites villes ou villes moyennes…Ils créent du lien, de la vie, du social…Ils sont nécessaires…
Vous avez tout résumé ! Lorsqu’on va dans la grande distribution il n’y a aucune relation, pas de contact, pas d’échange et encore moins sur Amazon (Rires)…Personnellement, je commande sur Amazon et je suis complice du système.

Cette série de doc est très ‘Service public’ puisque vous mettez en avant les régions, avez-vous eu l’idée de la proposer à des chaînes privées types M6 / TF1 / C8…
Oui mais j’ai de suite proposé l’idée à ‘Skopia Films’ car j’avais déjà travaillé avec eux. Ils m’ont dit aussitôt : ‘ça, c’est pour France 3’. Ils ont raison, seulement France 3 nous a diffusé une première fois sur les antennes régionales en novembre dernier vers minuit, c’est aberrant comme horaire. Là, du 25 au 29 mars ce sera 9h15, ça c’est un bon horaire !

Je ne songe pas à la retraite car je vais m’ennuyer comme un rat !

“Boutiques obscures” c’est l’antithèse d’une célèbre émission Belge diffusée sur France 3 dans les années 90 : “Strip-tease”…Vous regardiez cette émission ?
Je détestais “Strip-tease” ! Les images montraient des images dégradantes pour les personnes filmées. C’était glauque, moqueur…Moi, pour France 3, mon regard sur les commerçants est bienveillant (Sourire).

Quels commerçants vous a touché plus qu’un autre ?
Oui, Lisa qui tient un restaurant à Issy-les-moulineaux est tellement touchante ! Elle a 95 ans et tient seule un restaurant de 10 couverts. Elle fait absolument tout toute seule, c’est incroyable…

Patrice Leconte vous êtes encore jeune (71 ans). J’ai envie de faire un parallèle avec les petits commerçants que vous avez rencontré et qui n’ont pas envie de fermer boutique, qui se battent, et vous qui adorez faire des films et qui souhaitez continuer le plus longtemps possible…
C’est la vérité. J’aime mon métier même si j’ai des coups de fatigue, de découragement. Je ne songe pas à la retraite car je vais m’ennuyer comme un rat !

Je réfléchis à des séries pour la télévision

Si je m’en tiens aux épisodes de “Boutiques obscures” que j’ai visionnés je vois que travailler pour la télé cela vous a plu…Si une chaîne vous propose d’adapter par exemple un best-seller, seriez-vous partant ?
Oui. La télé permet de faire des choses impossibles pour le cinéma. Un exemple : ‘Boutiques obscures’ ce n’est pas diffusable au cinéma. Dans ce cas là, la télévision m’intéresse, effectivement. Si on me propose un best-seller, je préfère qu’il soit pour le cinéma. Une série de 10 fois 52′, ça me tente pour la télé, y a des choses, je réfléchis mais je n’ose plus m’avancer…

Je tourne “Commissaire Maigret” avec Daniel Auteuil cet automne

Vous devez, ‘deviez’ réaliser le dernier film d’Alain Delon avec également Juliette Binoche “La Maison vide”, c’est tombé à l’eau ? Et Daniel Auteuil en “Commissaire Maigret” ?
Pour Alain Delon c’est effectivement plus d’actualité, ça l’est par contre pour Daniel Auteuil en “Commissaire Maigret”. Daniel et moi en rêvions depuis longtemps. Il attendait d’avoir l’âge et l’épaisseur. On tourne ça cet automne.

Patrice Leconte il est à ma montre 17h30, j’aimerais savoir si celle que vous avez à votre propre poignet actuellement est celle que vous avait offerte Johnny Hallyday sur le tournage du film “L’homme du train”, en 2002…
Oui, absolument ! Je la porte tous les jours. C’est un cadeau somptueux et vous imaginez bien la valeur sentimentale qu’elle représente à mes yeux !.

Les boutiques obscures de Patrice Leconte, du lundi 25 au 29 Mars dès 9h15 sur France 3.