Ty Segall : “La collaboration est un lieu d’influence” (Interview)
Le prolifique Ty Segall, héros de la sphère indépendante, se dévoile au travers de quelques questions.
Rencontré le 1er juillet lors du festival des Eurockéennes, Ty Segall est un musicien extrêmement apprécié dans les genres rock psychédélique et garage rock, notamment pour être très prolifique et profiter de chaque rencontre avec un artiste comme une occasion de collaboration. En résulte un artiste très libre, multipliant les projets et les enregistrements, ne se limitant pas au carcan que peut représenter un groupe.
Avec deux groupes à son actif, Ty Segall Band et GØGGS, cet américain originaire de Palo Alto (CA) et s’étant établi à San Francisco nous confie pourquoi les collaborations ont une importance particulière pour lui.
24matins : Félicitations pour la sortie de votre album, GØGGS, aujourd’hui !
Ty Segall : Oh, merci ! J’ai tendance à l’oublier.
Comment se sent-on lorsqu’on met un album derrière soi ?
J’aime ce sentiment. Je dirai presque que j’ai un problème avec ce ressenti. Dès que je finis quelque chose, il me faut recommencer une autre, immédiatement. Ce qui fait que j’ai déjà un autre album solo d’achevé, qui sortira en janvier 2017, et huit autres morceaux pour un autre album. Donc je pense que j’ai un souci ! Mais cela reste toujours amusant et gratifiant, je n’envisage toujours pas cela comme un job. J’imagine que si c’était mon travail, je n’aurais pas ce problème, aussi je suis heureux d’en profiter.
C’est drôle, j’avais complètement oublié la sortie de GØGGS jusqu’à il y a deux semaines. C’est lorsque j’ai parlé à Chris (Shaw, chanteur du groupe) qu’il m’a rappelé qu’on devait répéter pour la tournée. Je me suis dit, « Ah, c’est vrai, ça sort dans deux semaines ». J’en suis déjà loin : j’ai remis il y a peu la couverture du prochain album et je suis déjà plus tourné vers l’écriture de chansons qui sortiront d’ici deux ans.
Pour introduire la critique de votre nouvel opus, le blog Consequence of Sound écrit : « Il serait plus aisé de compter les albums auxquels il n’a pas participé ces dernières années plutôt que l’inverse ». Qu’est-ce qui vous pousse à créer ?
(Rires) Parmi ce qui me pousse à créer, il y a notamment la volonté de créer des albums qui aux sonorités différentes. Je n’irai pas jusqu’à dire que chaque nouvel album que je fais n’est pas impacté par mes productions précédentes, mais d’un autre côté, je me préoccupe surtout d’apprécier le fait de créer de nouvelles choses.
Les albums collaboratifs comme ceux réalisés avec GØGGS ou Fuzz (Fuzz, In The Red, 2014 ; II, In The Red, 2015) sont avant tout le résultat d’un groupe d’amis qui s’amuse en travaillant. Il est toujours essentiel pour nous de réaliser le meilleur album possible, mais collaborer avec quelqu’un a aussi ses côtés fun. C’est très gratifiant de produire des choses différentes en groupe, que l’on ne pourrait réaliser seul. Et j’aime faire ces choses différentes avec les gens que j’apprécie.
Et il y en a beaucoup.
(Rires) Oui ! Je suis un homme chanceux.
De quelle façon les collaborations vous influencent-elles ?
GØGGS est un très bon exemple de la manière dont cela fonctionne. Avec Chris, nous avons eu cette idée : pourquoi ne pas travailler sur un album punk ? Je ne pense pas que j’aurai composé un album punk de mon propre chef. La voix de Chris n’a pas d’égal en punk actuellement, et cela a notamment influencé ma façon d’écrire les riffs.
Le terrain d’entente d’une collaboration, c’est cela qui devient un lieu d’influence. Avec GØGGS derrière moi, les idées futures seront forcément influencées par mon passé, comme une nouvelle pierre à mon édifice. Ce n’est pas évidemment d’éviter ce phénomène.
La méthode également ! Je travaille très rapidement, je n’aime pas faire plusieurs prises, pinailler et peaufiner — je suis très lucide sur ma façon de composer. Travailler avec Charles (Moothart) par exemple, le bassiste et guitariste de Fuzz et GØGGS, est à l’opposé de mon système. Charles est extrêmement consciencieux et peaufine ses riffs et ses idées encore et encore. C’est pour cette raison que je pense que Fuzz est un très bon groupe et exemple de très bonne collaboration. Je suis d’un côté du spectre, à lancer de la peinture sur un mur, et Charles est à l’opposé de ce spectre, fixant le mur avec réflexion et composant une toile avec la matière que j’y ai déposée. C’est l’un des grands avantages d’un travail en commun, la création d’une synergie à partir de deux méthodes diamétralement opposées.
L’illustration du premier album éponyme de Fuzz a une esthétique particulière. Quel contrôle avez-vous eu sur sa création ?
De tous les albums que nous avons faits, Fuzz et II sont ceux sur lesquels nous avons eu le plus et le moins de contrôle à la fois vis-à-vis de la couverture. Nous avons une confiance aveugle en Tatiana Kartomten, qui est une artiste incroyable. Elle avait déjà dessiné l’illustration pour Slaughterhouse (Ty Segall Band, In The Red, 2012). Je lui avais dit : « J’imagine très bien un visage, en train de hurler ».
Pour Fuzz, nous lui avons transmis l’album avec une simple consigne : « Dessine ce que tu entends ». Aussi le seul contrôle que nous avons eu sur la création de l’illustration se trouve dans la musique que nous avons composée.
Pensez-vous que faire partie d’un groupe est une limitation ?
Honnêtement, faire partie d’un groupe peut être la meilleure chose au monde, et la meilleure façon de faire tout ce que vous avez envie de faire, comme l’ont fait The Beatles. Il s’agit avant tout de trouver le groupe parfait.
J’ai bien une idée pour un futur groupe qui pourrait très bien fonctionner pour créer des choses bizarres, mais je vais garder ça dans un coin de ma tête pour l’instant.
Quel groupe dont vous faites partie est encore actif ?
Seuls GØGGS et Ty Segall Band sont encore actifs. Fuzz est plus en pause, chacun ayant son projet de son côté.
Pour terminer, pouvez-vous nous dire comment vous vous servez de vos tournées pour découvrir de nouvelles musiques ?
Chaque nouvelle date est une opportunité, si vous le voulez. Une tournée peut être très routinière, il faut vouloir aller dans des clubs, parler aux DJs, visiter de discrets disquaires. À titre personnel, je vis pour ça ; si j’ai un moment de libre, vous me trouverez chez un disquaire. Parce que j’ai cette obsession. Heureusement pour moi, on m’a volé ma carte bancaire avant le début de cette tournée, ce qui rend celle-ci plus économique !