Mr. Oizo : rétrospective et perspectives (Rencontre)
Quentin Dupieux aka Mr. Oizo est réalisateur de films, auteur-compositeur d’albums et a toujours un pas d’avance sur les attentes de son public. Rencontre au point-presse des Eurockéennes.
À propos de Réalité, et de sa structure narrative en Ruban de Möbius
Écrire Réalité, c’était un peu comme un cadavre exquis en plus travaillé, plusieurs idées que l’on mélange et entre lesquelles on créer des connexions. C’est une écriture automatique avec un travail de construction, afin de créer de la logique là où il n’y en a pas.
C’est un des scénarios que j’ai le plus travaillé dans ma vie.
À propos de l’influence des arts entre eux
Quand je ne peux pas faire de films, je fais de la musique et inversement. C’est comme la main droite et la main gauche : ça marche de la même façon, mais pas au même moment.
À propos de ses projets au cinéma
J’ai plusieurs scénarios. Dernièrement, j’étais dans une période musique, j’ai également écrit plusieurs films, mais était avant tout dans une période musicale. Je ne mets pas de côté le cinéma pour autant, mais en ce moment, ce qui m’anime, c’est la musique.
À propos du processus créatif
C’est triste à dire, mais lorsque je fais de la musique, je ne suis pas en train de penser au public, en train de me dire « tiens, je vais faire ça ». Je fais la musique qui me fait marrer, et qui me donne envie de danser. Il n’y a pas d’autre recherche.
À propos des moyens de composition
Je compose sur ordinateur — mais y a-t-il vraiment une différence, de nos jours ? Ce sont juste des outils. Je ne me considère pas comme musicien au sens noble du terme, je suis plutôt un bricoleur, mais j’ai commencé par utiliser de vrais synthétiseurs, que je devais brancher et régler.
Je suis impatient, et le système le plus rapide pour aboutir à une idée étant un ordinateur, c’est ce que je préfère utiliser. Cela ne veut pas dire que c’est mieux, simplement, c’est ma façon de faire.
À propos de l’espace de liberté de création qu’offrent les arts
Il est relativement le même. La seule différence étant qu’en cinéma on dépense l’argent des autres. En bout de chaîne, lorsqu’il s’agit de vendre le film, on a cependant des dialogues fastidieux, avec des personnes qui se posent des questions ennuyeuses.
Si l’espace de liberté est le même, on le paye davantage au cinéma, lors de la sortie d’un film notamment. Parce que les gens ont peur, parce qu’il n’y a pas assez d’entrées, parce que le film est trop comme-ci, trop comme-ça, etc.
À propos du nouvel album, All Wet
Il est très dur de parler de sa propre musique — il faut vraiment être imbus de soi-même pour expliquer « j’ai voulu faire ci, j’ai voulu faire ça ». J’essaye toujours de faire de la musique qui m’étonne moi-même, sinon je m’ennuie — donc j’essaye de ne pas m’ennuyer moi-même. Je n’arrive pas à mettre des mots sur ce que ça représente. La musique est quelque chose de spontané ; le cinéma, effectivement, est quelque chose qui se réfléchit plus et s’écrit.
Qu’est-ce que mon album change ? Je ne sais pas, mais à chaque fois que je propose un disque, c’est au moins parce que je considère que j’ai des morceaux qui sont excitants pour moi. C’est la seule donnée valable. Quand c’est un peu excitant autour de moi, je me dis que c’est un disque bien, mais l’on en sait rien en fait, on ne sait jamais.
À propos de Hand In The Fire, avec Charli XCX
C’est Charli qui m’a contacté. Elle a grandi avec la musique de Ed Banger et je me suis vite aperçu — même si je n’aimais pas tout ce que j’entendais — que c’était une fille qui faisait de gros paris, qui avait envie de se renouveler. La communication fut très fluide, elle m’a envoyé une a capella et j’ai fait le morceau. Je dis que ce n’est pas « glamour » parce qu’on n’a pas passé du temps en studio, à fumer des clopes — c’est elle qui a envie de travailler avec moi, qui m’envoie une a capella et moi je fais le morceau. Ça se passe comme ça.
À propos des featuring sur All Wet
Pour mon disque, à l’inverse, j’ai invité des gens que j’adore. Pour citer les plus connus, il y a Skrillex, Peaches, Boys Noize, Mocky, au talent exceptionnel, Crookers qui est venu rapper en italien sur mon disque.
À propos du morceau Nazi (2006)
Le titre était une sorte de blague : le morceau m’évoquait une armée de nazis. Auprès du distributeur allemand, ce fut plus compliqué : comme l’album s’appelait Moustache et le single Nazi, on a commencé à me poser des questions bizarres, mais il n’y a rien de douteux là-dedans. Il n’y a pas de titre odieux comme ça sur mon nouvel album, c’est plutôt un disque du soleil.
Pour l’anecdote, Justice a remixé Nazi uniquement parce que Xavier (de Rosnay) voulait avoir un morceau qui s’appelait nazi dans sa discographie.
À propos de son choix d’habiter à Los Angeles
Ce n’est pas tant un choix artistique qu’une préférence personnelle, une disposition psychologique. Je pourrai tout à fait revenir à Paris et recommencer à créer, mais je trouve s’autoriser un changement radical dans une vie fait du bien et je vous encourage à le faire une fois. On est dans une autre perspective, on est plus dans des habitudes, les gens sont différents, c’est un autre mode de vie… J’ai trouvé cela très agréable. Je l’ai fait uniquement pour être excité le matin, à nouveau.
Côté cinéma, c’est également plus simple d’être sur place.
À propos du morceau dont il est le plus fier
Je ne crois pas qu’il y en ait. Ça ne marche pas comme ça. En fait, c’est toujours le dernier le meilleur. Parce que c’est le plus proche. Les disques existent et sont derrière moi, j’en ai conscience, parfois je rejoue des morceaux — mais sans même remonter trop loin : l’album de l’année dernière, c’est déjà un vieux machin. Je suis déjà beaucoup plus intéressé par le nouveau parce qu’il est plus proche de ma vie d’aujourd’hui. C’est aussi simple.
Pour les films, c’est pareil. Mon meilleur film, c’est celui que je viens d’écrire avant-hier, parce que c’est ça qui m’habite actuellement.
À propos de Flatbeat (1999)
C’est tout l’intérêt de la musique : tu la fais et puis après elle appartient aux autres. Aujourd’hui, Flatbeat je m’en fous : je l’écoute et trouve ça très mauvais, en toute honnêteté. Je n’arrive même plus à comprendre le groove. J’entends que c’est mal fait, que c’est mal fini, etc., mais je comprends pourquoi c’était cool à l’époque.
À propos de Wrong Cops, et d’une possible critique des maisons de disques
Il n’y a aucune volonté de raconter quoi que ce soit, parce que c’est un film que j’ai vraiment écrit très très vite. Il n’y a aucune ambition de message. Néanmoins, cette scène où le personnage incarné par Éric Judor compose un morceau et se fait jeter par les maisons de disques, en rétrospective, c’est un passage que j’ai vécu.
Normalement, les musiques des pubs Levi’s arrivent en radio, donc on est allé voir avec mon producteur images de grandes maisons de disques. On est allé voir Pascal Nègre et des types comme ça, on leur a montré la pub et le morceau, et l’on nous disait : « ça ne fera rien », « on n’en veut pas », « ça n’a aucun intérêt, la pub est super, mais le morceau ne sert à rien ». J’ai vécu cette situation — quand je l’écris pourtant je ne me dis pas « ah, je vais me venger de Pascal Nègre ». Néanmoins, on a quand même fait une recherche d’acteurs, et le brief c’était « Pascal Nègre ». On l’a habillé un peu faussement jeune, avec des converses, pour faire Pascal Nègre.
À propos d’Internet, et de la possibilité d’émergence des artistes
La TV s’est déplacée. D’un seul coup, les gens en ont le contrôle. Seulement aujourd’hui, on a plus besoin d’une validation. On dépose du contenu sur la Toile et ça prend ou bien ça ne prend pas.
À propos de ses rapports avec le label Ed Banger
Je sors mon album sur Ed Banger, et mis à part une incartade sur le label de Flying Lotus, Brain Feeder, je garde un lien fort avec Pedro. Je suis un peu la locomotive de ce label mourant (rires). Il y a eu un pic de succès complètement incroyable, qui dépassait tout le monde quand c’est arrivé, où tous les projecteurs étaient sur ce label, un peu déstabilisant, un peu aveuglant, mais tout de même excitant, et maintenant qu’on est plus aveuglé par les projecteurs, il ne s’agit plus que de musique et de passion. Je pense que c’est le meilleur label du monde, et de loin.