Étudiants à l’hôpital : un médecin dénonce des violences “banalisées”
Travailler dans un hôpital en qualité d'étudiant peut se révéler presque un supplice. Dans son livre"Omerta à l’hôpital", la médecin généraliste Valérie Auslender compile un certain nombre de témoignages allant dans ce sens.
Les étudiants à l’hôpital font, pour une sensible proportion d’entre eux, l’objet de pressions, violences et harcèlements. C’est ce qu’avait effectivement révélé une étude conduite en 2013 auprès de 1.452 étudiants en médecine. Près d’un sondé sur deux disait être victime de propos sexistes, 40% exprimaient des pressions psychologiques, 9% affirmaient subir des violences physiques et 9% mentionnant un harcèlement sexuel.
Valérie Auslender, médecin généraliste, était déjà informée quant à l’existence d’“abus dans tous les corps de métiers de la santé”. Dans un entretien accordé à L’Obs, elle explique que les résultats de l’étude de 2013 ont confirmé sa thèse et l’ont conduite à lancer un appel à témoins. Et le 28 février dernier, Valérie Auslender d’avoir publié Omerta à l’hôpital aux éditions Michalon.
Harcèlement : l’étudiant “ne sait plus s’il a raison ou tort”
Pour cette praticienne, ces comportements reprochables voire condamnables sont inscrits dans une certaine tradition, et par conséquent aussi, une certaine normalité, les rendant de ce fait difficiles à attaquer :
“En médecine, ces us et coutumes existent depuis toujours. Le bizutage et le paternalisme sont reproduits de génération en génération. L’étudiant est déshumanisé, constamment mis sous pression, il doit empiler les masters, les diplômes universitaires… On ne tient compte ni de sa qualité de vie, de ses besoins. Les violences sont banalisées, souvent couvertes par les supérieurs. C’est l’effet domino : le chef de service se comporte mal et en bout de chaîne, l’interne est malmené. Et pas question de se plaindre, la hiérarchie est intouchable, car il faut bien construire sa carrière hospitalière. Le harcèlement moral, le fait de convaincre l’étudiant qu’il n’est bon à rien entraîne cette loi du silence. Il ne sait plus s’il a raison ou tort, d’autant que le harcèlement est toujours compliqué à prouver.”
CHU, les établissements les plus redoutés
Mme Auslender confirme par ailleurs que les CHU sont loin d’être le lieu de formation préféré des étudiants :
“À travers les témoignages transparaît la grande crainte des étudiants de se retrouver en CHU. C’était déjà le cas à mon époque. On préférait aller dans les hôpitaux en périphérie, où les formateurs étaient aux petits soins. Les CHU sont extrêmement exigeants et se retrouvent souvent en sous-effectif. Les experts sont unanimes : les services où les conditions de travail sont les plus dégradées sont ceux où il y a le plus de maltraitance.”
Avec son ouvrage, ce médecin souhaite “délier les langues” et faire en sorte que ces abus ne soient plus uniquement contrés par des associations d’étudiants :
“Les institutions hospitalières et les pouvoirs publics doivent s’emparer de ce problème en lançant des formations avec des questions dédiées à l’éthique, en créant un observatoire des violences – le seul qui existe pour le moment ne concerne que les cas où le patient est l’agresseur -, en renforçant le tutorat, en mettant en place des points d’écoute dans chaque fac, dans chaque Institut de formation en soins infirmiers, avec des professionnels : médecins, psychologues, avocats…”